ART EN GRÈVE OCCITANIE : BIENTÔT UN AN !

Le 5 décembre dernier, une petite lumière s’est allumée. C’est avant tout des amis qui se croisent dans un cortège, emportés par la marée humaine. Rien ne nous distingue vraiment. Nous sommes dispersés, isolés. Or en l’espace de quelques heures, Art en grève Occitanie prend forme. Il y a quelques échanges sur internet. Alexis Debeuf nous autorise à nous réunir sous le nouveau drapeau des artistes : une couverture de survie, à laquelle nous donnons le nom de readyflag. 

Des réunions sont organisées, un premier mot d’ordre émerge : « Artistes précaires et solidaires » puis un deuxième : « les artistes sont des travailleurs et des travailleuses comme les autres » . C’est parti. Nous défilons ensemble, lors de la mobilisation suivante contre la réforme des retraites. On ne va pas refaire toute l’histoire : vous la connaissez comme moi. C’est la nôtre. Elle est faite de surprises, d’espoirs, de rencontres souvent émouvantes, de solidarités nouvelles…

L’intervention lors du vernissage de Laure Prouvost aux Abattoirs a été un point d’orgue. Dans la dignité, il s’agissait de révéler quelque chose de nous-mêmes pour rompre avec le silence indifférent qui entourait jusque-là notre précarisation progressive au sein de la société. Beaucoup de choses ont été faites, produites, actées, durant cette année, nous plaçant de façon nouvelle face à des enjeux collectifs. Il est vrai que le modèle libéral de l’artiste entrepreneur nous a été vendu avec un imaginaire de réussite individuelle bien éloigné des réalités auxquelles nous sommes confronté·e·s dans nos vies.

Ce qui est revenu le plus souvent dans nos échanges, c’est le constat d’une grande solitude. Chacun·e se retrouve isolé·e dans sa précarité, n’osant pas en parler. Ce n’est pas très glamour d’être précaire, dans un milieu où il faut toujours avoir des projets, être au top. Une phrase revient toujours, lancinante et douloureuse, dans toutes les bouches : « je ne me sens pas très légitime en tant qu’artiste ». Rien à voir avec le niveau d’études ou la nature du travail. Il s’agit plutôt d’un sentiment d’échec lié à l’absence de revenus, et ce malgré une production constante. En effet, nous travaillons tous beaucoup. Mais la valeur de ce travail n’est pas ou plus reconnue économiquement et donc socialement.

La question d’un statut de l’artiste a été souvent abordée. Elle a fait l’objet d’un groupe de travail dédié, qui s’est réuni à plusieurs reprises. Nous nous sommes relayés à quelques un·e·s pour assurer une veille régulière et attentive sur ce sujet, permettant d’en mesurer, jour après jour, les avancées millimétriques. C’est un terrain qui mérite toute notre attention, mais qui n’offre malheureusement que peu d’espoirs. Nous ne sommes pas assez nombreux, mobilisés ou influents pour faire avancer ce combat plus efficacement. Il faudrait une syndicalisation massive. Nous l’appelons de nos vœux mais elle est indécidable et ne règlerait pas tout.

La difficulté première sur cette voie, c’est la question du métier. Comment trancher qui est artiste et qui ne l’est pas ? Faut-il être diplômé·e ? S’il s’agit d’être reconnu·e, qui décide ? L’institution ? Des professionnel·le·s ? Qui est professionnel·le ? A partir de quel niveau de revenus est-on reconnu·e comme étant professionnel·le ? Le revenu est-il d’ailleurs le seul critère de reconnaissance possible et légitime ? Chaque nouvelle question à ce sujet, soulève un piège ou une impossibilité.

Par ailleurs, nous héritons – que nous le voulions ou pas – d’une histoire des formes qui s’est écrite depuis plus d’un siècle sur la base d’une remise en cause radicale de la notion de métier. Pour faire simple, si l’artiste est un·e travailleu·r·se comme les autres, dont le travail mérite salaire, il·elle n’a pas pour autant de métier et n’a que rarement un emploi. Nous savons bien aussi qu’il n’est pas toujours nécessaire de produire pour être artiste. Nous le vérifions dans les temps d’observations, de réflexion, de documentation, de recherche, durant lesquels nous ne sommes pas à proprement parler « productifs » et qui sont pourtant indispensables pour nourrir et mûrir nos projets.

S’il est un combat dans lequel nous pouvons légitimement nous inscrire, en tant qu’artistes, c’est bien la lutte contre les précarités. Le salaire universel, que Bernard Friot défend comme un salaire à la qualification personnelle , a le mérite de découpler travail et emploi. C’est donc une libération du travail et de la valeur. Comment ne pas y voir, d’une certaine manière, un prolongement du programme des avant-gardes ? Je pense, entre autres, à Robert Filliou, qui nous a donné une de nos plus belles devises : « L’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art. » Et si le travail était lui-même à envisager désormais comme ce qui peut rendre nos vies plus intéressantes que le travail ?

Notre lutte ne fait que commencer. Elle est collective, solidaire, attentive, inventive.

Bon anniversaire à toutes et tous !

Moderno,
le 5 Décembre 2020

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