QU’EST-CE QUE LE TRAVAIL ?

Nous, artistes-auteurs, sommes quotidiennement confrontés à la violence de cette question. La nature de notre activité, mêlée à une certaine définition du travail qui a prise sur la société, nous amène à devoir rendre des comptes en permanence. Nous sommes fatigués… fatigués par cette chasse aux sorcières qui s’immisce jusque dans notre entourage. 

«l’art c’est du loisir, trouve-toi un vrai boulot»

«tant que tu n’es pas indépendant financièrement, ce n’est pas un vrai travail» 

Contre la violence de ces formules – qui ne sont que le symptôme de cette parenthèse historique qu’est le capitalisme – nous devons proposer. Proposer tout d’abord une définition pertinente du travail afin, par la suite, de faire émerger des solutions concrètes pour nous sortir de cette impasse qui nous accable. 

Alors, qu’est-ce que le travail ? 

Il y a travail quand il y a argent, ou plus précisément : il y a travail quand la monnaie – cette expression de la valeur créée – vient confirmer que la nature de notre activité est reconnue – socialement – comme travail. 

Seulement, croire que cette définition réduirait le travail aux seuls rapports marchands, ce serait aller un peu vite. Ce serait oublier, notamment, le rôle subversif que joue la cotisation dans notre manière de l’appréhender : la cotisation rend possible la reconnaissance d’activités non-marchandes comme relevant du travail. 

Mieux encore : contrairement à ce qu’en dit la doxa, la cotisation n’est pas une ponction sur le salaire, mais un ajout de valeur qui contribue à faire gonfler le PIB puisqu’elle est comprise – par anticipation – dans le prix des biens et services de l’activité marchande. 

Par la suite, le salaire socialisé que permet la cotisation, est en partie dépensé dans la sphère marchande, qui à son tour permettra la cotisation, etc, etc. Il y a donc interdépendance du travail marchand et non-marchand, les deux s’engendrent réciproquement. Il faut urgemment sortir de cette vision de la cotisation comme constituant un poids économique, cela reviendrait à disqualifier les bénéficiaires d’un tel dispositif comme producteurs de valeur, donc comme travailleurs. 

De là, les perspectives pour le PIB deviennent vertigineuses. Et si tous les salaires des travailleurs de ce pays étaient distribués par une caisse salaire, via une cotisation salaire généralisée, sans en passer par la dette ? C’est ce que propose Bernard Friot : un salaire inconditionnel de la majorité à la mort, un salaire attaché à la personne selon une grille de qualification encadrée, un salaire qui nous sortirait de la dictature du temps au travail, un salaire qui rendrait possible de nouvelles manière de travailler et d’entreprendre, un salaire qui ne ferait plus le procès de l’utilité… 

D’ailleurs, parlons-en de l’utilité ! Débat vertigineux s’il en est. Dans un monde où le bénévole des Restos du Coeur rend service au collectif, là où l’état se défausse de toute responsabilité; dans ce même monde, on travaille quand on fabrique des armes, on travaille quand on produit de la merde qui empoisonne, on travaille quand on fout les gens à la rue, on travaille quand on arrache des yeux. 

Alors, avons-nous à rougir de la nature de notre activité ? 

Le travail est une construction historique et sociale aux frontières mouvantes, ce qui n’est qu’une activité aujourd’hui peut devenir travail demain, ce qui est travail aujourd’hui peut devenir activité demain. Je répète, le travail est une construction historique et sociale, comprendre : le travail, en tant que construction, est traversée par la lutte de classes, il masque des enjeux de pouvoirs. Qui domine l’ordre social décidera quoi produire, comment produire, où et quand produire, mais surtout, il décidera des valeurs d’usage qui ont vocation à se doubler d’une valeur économique, il décidera donc de la forme que doit prendre le travail; et qui décidera des contours du travail dominera l’ordre social. Redéfinir le travail implique donc d’instituer un droit aussi révolutionnaire que le suffrage universel en son temps : le droit à la propriété d’usage. Un tel droit permettrait le surgissement de la souveraineté sur la production et la démocratie dans le travail même. Un travailleur égale une voix, simple formule mais long combat. Il a fallu plusieurs siècles au capitalisme pour s’affirmer, il en faudra, au moins autant, si nous voulons tendre vers une société qui canalise la prédation de l’homme sur l’homme.

Paul Callu,
le 20 février 2020

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Fièrement propulsé par WordPress | Thème : Baskerville 2 par Anders Noren.

Retour en haut ↑